Lorsqu'on réalise l'insignifiance absolue du réel, il devient difficile, voire impossible, d'investir son corps ou son esprit dans une activité dont on sait les principes artificiels et créés par l'esprit humain. Car l'esprit humain, dans sa constante production et recherche de sens, ne peut agir que dans le cadre d'un système de sens, et après la condition qu'il ne devine pas l'arbitraire de ce système, sans quoi ses croyances deviennent, avec ses motivations, nulles. Pour éviter la désillusion, la déception ou la dépression, il est nécessaire de s'accrocher sans doute aux vérités et aux règles que notre environnement nous présente, et ne pas soupçonner l'artificialité de ces valeurs.
Dans de telles conditions, il parait problématique d'espérer rester sain d'esprit ou simplement heureux ; puisqu'aucun critère de bonheur ne semble émaner d'une exigence objectivement supérieure à notre condition, comment notre besoin de sens pourrait-il être satisfait ? Que faire devant le constat d'un hasard omniprésent et de la fragilité décourageante des lois humaines s'attachant à recouvrir cette toute-puissance ? Heureusement, il existe un domaine de l'activité humaine au sein duquel la question du sens, de son invention et de son artificialité peut être travaillée, réécrite et lancée dans des paniers de basket avec divertissement : l'Art. Plus que toutes autres règles humaines, ce sont celles de l'art qui sont les plus malléables, contradictoires et finalement les plus évidemment artificielles.
Mais c'est par le langage de l'absurde qu'on peut le mieux évaluer et jeter aux regards l'écart tragi-comique séparant la nullité de signification du réel de la géniale boursouflure sémantique de notre monde. En présentant des scènes d'un burlesque prononcé, d'un ridicule plat et d'une idiotie obstinée, je détourne simplement l'impuissance désolante de nos vies face au réel, en jeu d'une égale inconséquence. Présentées à l'esprit raisonnable, mes toiles absurdes obligent celui-ci, sans qu'il ait à se l'avouer pour autant, à réaliser qu'aucune règle de sens n'a réellement raison sur son contraire, que toutes les lois s'équivalent, par l'absence de légitimité en dehors du système dans lesquelles elles furent créées, et qu'il vaut mieux en rire un coup.